Dimanche 29 avril 2007 à 19:32
Une 'tite histoire écrite pour un concours de nouvelles sur le thème de la rencontre... Enjoy! :)
(désolée, c'est un peu long! ;p)
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Pfff… Le métro. Je hais cette promiscuité forcée avec un troupeau humain bêlant,
ricanant, geignant, ronchonnant et même puant (entre les mélanges d'after-shave
des actionnaires d'Yves Saint-Laurent et ceux qui considèrent l'hygiène comme
une offense personnelle, mes sinus ferment boutique)…
Et pour faire durer le
plaisir, quoi de meilleur qu'un problème technique sur la ligne ? Je suis sûr
que le métro a été créé par un sataniste comme temple à la gloire de son maître…
Et encore je suis assis, côté fenêtre qui plus est, m'attirant ainsi les
regards haineux des trois quarts des voyageurs (le dernier quart arborant une
molle résignation de bœuf en route pour le pays des steacks hachés).
«
Welcome to the Jungle »… Merci Axl.
Le métro d'en face est aussi à quai, et
aussi bondé que le mien. Bienvenue au club. Je me rencogne dans ma musique et
ferme les yeux.
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Je rêve pas, ce vieux est en train d'essayer de me
peloter ! Je me décale l'air de rien, le visage neutre, avec l'envie sauvage de
lui planter mon crayon dans la main. Zut, je ne peux plus me décaler à moins de
passer à travers la fenêtre du wagon. Je hais ces vieux satyres… Qu'est-ce
qu'ils s'imaginent ? Ils attendent de voir combien de temps on tient avant de
leur mettre une baffe ?
Je referme mon livre et lève les yeux. Mes Dieux,
c'est fou ce que les gens ont l'air pimpant et heureux de vivre ! On a envie de
pleurer rien qu'en les regardant…
Tiens, non, en voilà un qui sourit, les
yeux fermés dans ce métro en face… Pas un grand sourire, mais c'est déjà ça…
C'est mignon, ça lui fait une fossette…
J'ouvre distraitement mon bloc et
sors mon crayon.
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Un coup sur le genou me tire de ma bienheureuse
transe musicale. Saleté de gamin surexcité sur les genoux de sa mère. Je lui
lance mon meilleur regard de tueur qui n'a pas l'air de le terroriser outre
mesure et me détourne. Ca doit faire 5 minutes qu'on est arrêtés, mais grâce à
la technologie de distorsion temporelle propre à la RATP, j'ai l'impression
qu'il s'est écoulé des siècles… Si ça se trouve, il s'est vraiment passé des
siècles et quand je sortirai de là, on m'exposera dans un musée, entre un fémur
de mammouth et une brosse à dents en plast… Pourquoi elle me regarde comme ça,
elle ?
Je ne vois pas bien, à travers nos deux vitres, ce qu'elle griffonne
avec ce petit sourire qui donne l'impression qu'elle se fout de ma gueule… Elle
tire la langue sous la concentration, c'est marrant.
Elle relève la tête et
nos yeux se croisent, les siens se plissent en un sourire pétillant et mes
lèvres suivent le mouvement sans savoir pourquoi. Elle pose son bloc contre sa
vitre. Waouh. J'ai vraiment l'air si ahuri que ces quelques traits
?
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Ses yeux s'arrondissent d'étonnement, puis un large sourire et un
pouce levé viennent me récompenser. Jolie fossette, décidément ! Il a l'air si
peu à sa place dans ce vieux décor et entouré de ces momies, comme une bouteille
de champagne au milieu de sachets de tisane diurétique… Le problème technique
semble s'éterniser, mais le temps ne me paraît plus si long, et un coup de
crayon pointu dans la jambe de mon voisin semble avoir eu raison de son
insistance.
Je me tourne vers mon inconnu du métro d'en face et lui demande
par signes ce qu'il écoute de si passionnant. Il pointe deux doigts vers moi,
les autres repliés autour d'une crosse imaginaire. Un revolver ? Il fait mine
ensuite de cueillir quelque chose pour le porter à son nez… Une fleur ? Un
revolver, une fleur… Guns n' Roses? Cette musique lui va bien… « Take me back to
the Paradise City where the grass is green and the girls are pretty… »
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Elle essaie de me parler par signes, je ne comprends rien, elle
s'énerve derrière sa vitre et affiche une moue si comique que je ne peux
m'empêcher d'éclater d'un rire qui réveille mes voisins en sursaut. Peu
sensibles au charme de l'instant, ils se contentent de me fusiller chafouinement
du regard avant de replonger dans leur maussade apathie.
Elle rit aussi, il
fait soudain plus chaud. Je lève la main pour une nouvelle chanson de geste plus
douce, quand une voix d'outre-tombe me stoppe net.
« Mesdames et Messieurs,
l'incident étant terminé, nous allons pouvoir repartir, merci de votre patience.
»
Elle a lâché son carnet, et son sourire a disparu. Je maudis la RATP qui
n'est pas foutue d'avoir des problèmes techniques dignes de ce nom !
Je la
regarde et mon cœur se serre inexplicablement ; on ne peut quand même pas se
quitter sans s'être rencontrés !
La sonnerie de fermeture des portes
retentit…
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Constatant la mise en veille de mon cerveau, mon corps a
pris les commandes. Je jaillis de mon siège en rassemblant mes affaires,
indifférente aux crises cardiaques de frayeur que je provoque ici et là par ce
brusque retour à la vie. Je me fraye un chemin entre les sièges non sans lancer
un retentissant « Satyre !! » à mon voisin pétrifié, et atterris devant la
porte… Ou presque. Ce qui me bloque l'accès est sans nul doute un ancien
bûcheron canadien reconverti dans l'épaulé-jeté olympique, j'arriverais plus
facilement à séparer les eaux de la mer Rouge qu'à le faire bouger. Je contemple
alternativement le bout pointu de mon crayon et la partie charnue de l'individu
qui me fait « face ». Aux grands maux…
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Le monde entier se ligue
visiblement contre moi alors que je tente désespérément de me faufiler au milieu
des morts-vivants environnants. Autant vouloir pédaler dans la mélasse, leur
inertie se montre étonnamment dynamique quand il s'agit de bloquer ma
progression. Je les soupçonne d'y mettre de la mauvaise volonté, mais je peux
aussi être très sournois…
Un pinçon, un cri et une gifle mal adressée plus
tard, je suis arrivé près de la porte, une main m'agrippe mais d'un mouvement de
jambes plein d'élégance, je trébuche et tombe hors du wagon, qui finit par se
mettre en marche. J'aperçois fugitivement les visages vociférants de mes
compagnons d'hébétude et songe que la résurrection est finalement un phénomène
très surfait.
Puis mes jambes prennent le relais et débranchent
définitivement mon cerveau.
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« Où est-ce que je vais ?
-
C'est maintenant que tu le demandes ? t'aurais pu y réfléchir avant
!
- Mais…
- Et si ça se trouve, il est parti dans son
métro, t'as même pas regardé !
- LA FERME ! »
J'enfile les
couloirs en courant et en faisant taire la voix de la raison qui se pavane d'un air suffisant dans
ma tête, je me perds je tourne en rond, je ne trouve personne, je finis par chercher un coin où pleurer tranquill… Outch.
Un choc, un parfum très doux, un sourire pas moins suave, tout paraît
tellement irréel soudain…
Je suis dans les bras d'un rêve, sur les lèvres
d'un rêve, qu'on ne me réveille plus !
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Je ne sais plus où j'allais,
mais je suis bien arrivé…